Chère Isabelle, je me rappelle notre dernier échange, à Saint Arbo, autour d’une galette d’épiphanie : nous évoquions le droit de se taire, sans lequel le droit à la parole ne signifie rien. Un peu plus tard, à table, sous l’œil bienveillant de quelques Grands-Témoins Malko, il a été question du curé de Pfastatt, chantre de la culture populaire et réfractaire à la torture pendant la guerre d’Algérie. Puis, un silence par la maladie, et aujourd’hui, un silence de mort. Pour y faire face, je retrouve miraculeusement sur mon étagère un texte sur le silence, étudié en cours de Français pendant mes années –collège, un texte d’Antoine de Saint-Exupéry que je n’ai jamais oublié et que mes recherches sur la deuxième guerre mondiale (nous partagions cette passion pour le trans-généalogique !) m’a fait retrouver en 2004. On dirait que c’était à dessein (divin), pour rendre soutenable la violence de ton Départ. Saint-Ex écrit à son ami Léon Werth, qu’il a rencontré en 1935.Il le reverra une dernière fois à Saint-Amour, en octobre 40, et Werth lui remettra son manuscrit sur les 33 jours qu’il a passés avec sa femme et son bébé sur les routes de l’exode. Du fait de sa judéité, Saint-Ex sait que son ami est désormais l’otage de la politique antisémite de Vichy ; à distance, il lui écrit sa Lettre à un Otage, et fera publier le texte de son ami après la guerre. Je t’adresse les quelques lignes qui suivent comme une ultime réponse à notre conversation. L’auteur évoque le Sahara, où « [t]out s’oriente. Un silence même n’y ressemble pas à l’autre silence. »
« Il est un silence de la paix quand les tribus sont conciliées, quand le soir ramène sa fraîcheur et qu’il semble que l’on fasse halte, voiles repliées, dans un port tranquille. Il est un silence de midi quand le soleil suspend les pensées et les mouvements. Il est un faux silence, quand le vent du Nord a fléchi et que l’apparition d’insectes, arrachés comme du pollen aux oasis de l’intérieur, annonce la tempête d’est porteuse de sable. Il est un silence de complot, quand on connaît, d’une tribu lointaine, qu’elle fermente. Il est un silence du mystère, quand se nouent entre les Arabes leurs indéchiffrables conciliabules. Il est un silence tendu quand le messager tarde à revenir. Un silence aigu quand, la nuit, on retient son souffle pour entendre. Un silence mélancolique, si l’on se souvient de qui l’on aime. » Premier avril 2020, date de ton enterrement : la conversation se prolongera avec tes témoins et avec toi, puisque les morts ne disparaissent pas : l’invisibilité est désormais ta manière d’apparaître… Schmetzla de Patricia (Colomb).